mardi 17 mars 2009

La troisième Intifada sera musicale, ou ne sera pas...

Lancer des pierres ? Ils l’ont déjà fait une fois, comme tous les petits nés depuis la première Intifada. Mais aujourd’hui, du haut de leurs dix-sept ans, ils ont trouvé une meilleure arme. Plus percutante. « Une pierre, ça laisse une égratignure, ça fait du mal sans faire avancer les choses. Avec une chanson de rap, tu touches les esprits, tu fais réfléchir plus de monde. Ça, c’est utile », explique Anan Odeh, leader des « Tornado Lights ».

Avec son cousin Majed, il scande ses couplets, qu’il écrit en arabe. Depuis peu, il s’essaye à l’anglais. Pour toucher plus de monde. Avec la guerre à Gaza, il espère ratisser large : de Bethléem, où il a grandi, à Hébron, où il enregistre ses premiers titres, et bien au-delà, Inch’Allah. En studio, il est entouré d’une joyeuse bande, les conseils fusent, les blagues aussi. Les rires se mêlent aux slogans, aux réflexions sur la question palestinienne, sur le rap ou sur les subtilités du logiciel de montage audio. Puis vient la chanson phare, dédiée à Gaza. Tout le monde se concentre. Anan et Majed leur demandent à tous d’enregistrer une phrase de soutien aux Gazaouis dans les langues qu’ils connaissent. Pour Fawwaz, qui a vécu à Barcelone, se sera espagnol. Et catalan, il y tient : « les Palestiniens connaissent bien les Catalans, ils nous soutiennent parce qu’eux aussi savent ce que c’est de lutter pour l’indépendance », assure le jeune homme, rentré travailler pour le comité international de la Croix Rouge (CICR) à Hébron. Haneen, chrétienne qui a fréquenté le lycée des Sœurs, annone un timide « Friede in Gaza ». Je suis moi-même mise à contribution. Ce sera français et marocain. Wajdi Shahen, de Jénine, assure, lui, les refrains. Avant de prendre le micro, il angoisse un peu. Le trac. Il triture son bracelet en bois peint : des icônes de la Vierge. Comme tous ceux de la région de Jénine, Wajdi prononce « gu » le son guttural « q ». Anan insiste, surtout, qu’il garde son accent quand il chante, il faut s’adresser à tous Palestiniens, quelles que soient leurs régions d’origine. Pas de mots vulgaires non plus, toutes les générations doivent pouvoir écouter et entonner à leur tour les paroles.

Chez « Tornado Lights », pas de rap bling-bling, pas d’histoires de filles ou de drogue. Anan et Majed préfèrent le rap « watani » (national, en arabe). En vogue depuis quelques années du Maroc au Liban, il prend toute sa dimension en Palestine. Dans le premier CD des « Tornado Lights », qui en ont accéléré l’enregistrement pour le sortir en soutien aux Gazaouis, il est question, entre autres, de la guerre à Gaza, des check-points et du Mur. Le refrain est entêtant, à l’image des désagrément de la « barrière de sécurité » construite par Israël : « Parti vers le sud, j’ai trouvé le mur/ parti vers le nord, j’ai trouvé le mur/ parti à l’est, j’ai trouvé le mur/ parti à l’ouest, j’ai trouvé le mur ». Une situation qu’Anan vit tous les jours. Il a grandi à Dheisheh - un des quatre camps de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens, l’UNRWA, à Béthléem – entièrement encerclé par le mur et quadrillé par les miradors. Un camp vieux de soixante ans où toutes les habitations sont désormais en dur. Un camp avec ses routes, ses échoppes, ses écoles, ses bureaux politiques et ses martyrs, dont les portraits s’étalent à tous les coins de rue : déclinés en photo, affichettes, peintures réalistes, au travers de dédicaces ou tracts politiques, ornés des emblèmes du Fath, du Hamas ou du Front Populaire (FPLP). Certains « shahid » (martyr, en arabe) posent les armes à la main, pour d’autres les photos sont tirées d’album de famille. Ou de photo de classe, pour les plus jeunes.

Dans le studio aujourd’hui aussi la mort n’est pas loin. On avait presque oublié la guerre et ses horreurs. Et voilà que le responsable vient demander aux chanteurs en herbe de baisser d’un ton. Ce ne sont pas les mesures de rap ou le « flow » des « Tornado Lights » qui sont en cause. Juste le volume sonore des rires, de la musique. Dans le bureau attenant, le directeur. Il a perdu son neveu deux jours avant. A quinze ans, il a eu le malheur de sortir de la mosquée après « joumouaa », la prière collective du vendredi midi, moment auquel se retrouvent habituellement les manifestants contre la guerre à Gaza. Lui ne participait pas à la marche, mais il était là. L’armée israélienne aussi. Et les colons. Ceux d’Hébron sont loin de vivre en bon voisinage avec les Palestiniens. Le coup est parti, Mousaâb Badawan est mort, raflé par une balle. Ironie du sort, ce soir, les musiques se mêlent. Rap « watani » et chants politiques pro-Hamas comme pro-Fatah se mélangent dans la grande rue d’Hébron. A deux maisons du studio, celui que tout le monde appelle « shahid », trop jeune encore pour être dans un parti, rassemble post-mortem sous le toit familial les proches, les amis et les officiels des deux partis, venus des quatre coins de la Cisjordanie présenter leurs condoléances. Le groupe, sorti du studio pour prendre l’air, est d’abord intrigué. Dans la rue, on se lance des bonbons, des échos de musique traditionnelle résonnent. On pourrait croire à un mariage. Si ce n’étaient les tracts distribués par des hommes aux visages contrits. Sur ceux du Fatah, le leader historique des Palestiniens, Yasser Arafat, tourne son regard vers le portrait du jeune mort. Ceux du Hamas ont préféré apposer sous le portrait du martyr le sceau du parti de la résistance, deux sabres croisés devant le dôme doré de la mosquée Al Aqsa, un des lieux saints de l’Islam à Jérusalem.

A la fin de la journée, le studio se vide. Ceux qui habitent Hébron se rendent aux obsèques, vont saluer les parents du défunt. Les autres se dirigent vers l’arrêt des « services », ces minibus qui desservent les différentes villes de Cisjordanie. Notre chauffeur démarre et insère un disque dans l’autoradio. « Hamsaoui, ya Hamsaoui », les premières paroles à peine entamées, nous savons de quel bord est le conducteur. Sympathisant du Hamas. Anan entame la conversation, sur un ton badin. « Si j’étais chrétien, pourrais-je me marier avec ta fille ? », lance-t-il au chauffeur. Embarrassé, celui-ci répond que « ça ne se fait pas chez eux… ». Puis la conversation s’arrête. Il fait nuit et les check-points se multiplient. Il faut vérifier qu’on a bien ses papiers d’identité, les sortir, les présenter. Le chauffeur s’étonne des différentes nationalités qu’ils transportent dans son véhicule. Nous parlons des Maghrébins, de solidarité arabe. Et de mariage. Y aurait-il une Marocaine qui voudrait l’épouser ? Nous l’interrogeons : « vous nous aviez dit que vous aviez des enfants et une femme déjà ? ». « Elle n’est pas contre l’idée d’avoir une coépouse… »,assure-t-il. En Cisjordanie, on fait des projets. La vie continue.

3 commentaires:

Free Zone a dit…

Changer le monde grace à la music, B.Marley y a cru jusqu'au bout... en tout cas l'art peut et doit contribuer..
5estrellas

Italiâneries a dit…

Pendant un moment j'ai eu l'impression de lire Robert Fisk...toujours un grand plaisir

sarah ben a dit…

@ italiâneries: alors là, je suis flattée... merci mille fois! à très très vite! promis!

@free zone: contente de voir que j'ai encore des fidèles... je vous ai bien délaissé... mais merci de venir encore donner ton avis... ça fait chaud au coeur! à très vite...