jeudi 7 février 2008

Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience (René Char)


« Si l’ensemble de ces réformes est mis en œuvre, a promis M. Attali, le taux de croissance pourrait être supérieur d’au moins un point à l’année 2008, le taux de chômage pourrait être ramené à 5%, deux millions d’emplois pourraient être créés, le chômage des jeunes pourrait être divisé par trois, le nombre de Français sous le seuil de pauvreté pourrait être amené à trois millions, nous avons calculé que l’espérance de vie entre les plus favorisés et les plus défavorisés pourrait être réduite d’un an [sic], que plus de dix mille entreprises pourraient être créées dans les banlieues, que la dette publique serait réduite à 55% et que la fréquentation touristique pourrait dépasser les 90 millions. » En somme, le bonheur. Voila l’utopie qu’on nous propose, voila pourquoi nous devrions, comme un seul homme, nous mobiliser, accepter les sacrifices, le faire avec bonheur et élan… voilà ce que nos dirigeants ont à nous proposer, voilà les lendemains qui chantent, voila ce que nous souhaitons pour notre futur, pour nos enfants…


Comment s’étonner de la désertion des citoyens, comment s’étonner que plus personne ne s’investit, n’investit, dans la politique, comment s’étonner que l’économie, le business, la finance attire autant, ce sont d’autres échelles, d’autres dimensions qui s’ouvrent à toi, des milliards, des millions, convertibles en d’autres millions… c’est avec des espèces sonnantes et trébuchantes que tu vas te payer ton entrée dans le monde, c’est avec ces mêmes sésames que tu vas pouvoir te montrer, briller, exister, t’entourer, te meubler, te faire plaisir, te payer du bon temps, évoluer, rencontrer, découvrir, bouger… C’est avec cet argent que tu vas pouvoir transformer ton existence en réalités concrètes, que tu vas justifier tes heures passées au boulot… quelle meilleure preuve de ta réussite professionnelle que cette magnifique cuisine équipée brillante ? Qui peut ignorer ton succès avec le petit bijou qui te sert de voiture ? Qui oserait remettre en cause ton assise et ta classe dans ce sublime costume, payé les yeux de la tête, mais que tu vaux bien ? Qui pourrait douter de ton poste haut placé dès lors que tu sors ton stylo, si cher et si stylé ? Convertis en cafetières high-tech, voyages et autres iPod nano, la réussite est bien tangible, bien visible et on peut la mesurer, la quantifier, la rétribuer, la payer pour créer, encore, de nouvelles issues, de nouvelles façons de la dépenser…


Mais n’est-ce pas un peu faible ? N’est-ce pas un peu mesquin d’avoir pour objectif pour des millions de personnes, d’individus, de destinées, d’êtres en devenir, n’est-ce pas un peu mesquin d’avoir pour seul vœu de leur apporter UN point de croissance, une BAISSE du chômage, quand celui-ci devrait être réellement combattu et quand cette autre pourrait être abordée différemment ? N’est-ce pas un peu méprisant de n’avoir à leur proposer que du matériel et du court terme ? N’est-ce pas nous prendre pour des cons que de nous faire croire que nous ne serions intéressés que par l’éphémère, le palpable, le matériel ? Serait-ce faire preuve de faiblesse que de reconnaître que l’Homme ne se nourrit pas qu’avec des oméga 3 et des produits bio payés à prix d’or grâce à des salaires, dont la hausse est promise pour bientôt ? Serait-ce un tort que de reconnaître que là n’est pas le but de la politique ? Serait-il un héros ou un imbécile celui qui nous proposerait autre chose que ces réalités prosaïques ?


Pour ma part, permettez-moi de jeter les points de croissance, la fréquentation touristique, les SEULEMENT trois millions de pauvres, la REDUCTION de l’écart d’espérance de vie en vrac pour mieux m’enivrer… Permettez-moi de pencher pour un homme qui me propose le bonheur, permettez-moi de laisser le cœur l’emporter sur la raison et laissez-moi m’enflammer pour quelqu’un qui, au lieu de proposer à chacun de gagner plus, appelle à « amputer tous les budgets de la recherche spatiale d’un centième, pour les consacrer à des recherches dans le domaine de la santé et visant à la reconstitution de l’environnement humain perturbé par tous ces feux d’artifices nuisibles à l’écosystème. »
Permettez-moi, avec lui, de « souffrir au nom des Indiens massacrés, écrasés, humiliés et confinés depuis des siècles dans des réserves, afin qu’ils n’aspirent à aucun droit et que leur culture ne puisse s’enrichir en convolant en noces heureuses au contact d’autres cultures, y compris celle de l’envahisseur ».
Laissez-nous nous « exclamer au nom des chômeurs d’un système structurellement injuste et conjoncturellement désaxé, réduits à ne percevoir de la vie que le reflet de celles des plus nantis ».
Laissez-le « parler au nom des mères de nos pays démunis qui voient mourir leurs enfants de paludisme ou de diarrhée, ignorant qu’il existe pour les sauver des moyens simples que la science des multinationales ne leur offre pas, préférant investir dans les laboratoires de cosmétiques et dans la chirurgie esthétique pour les caprices de quelques femmes ou d’hommes dont la coquetterie est menacée par les excès de calories de leurs repas trop riches et d’une régularité à vous donner – non, plutôt à nous donner à nous autres du Sahel – le vertige. Je parle aussi au nom de l’enfant. L’enfant du pauvre qui a faim et qui louche furtivement vers l’abondance amoncelée dans une boutique pour riches. La boutique protégée par une épaisse vitre. La vitre défendue par une grille infranchissable. Et la grille gardée par un policier casqué, ganté et armé de matraque. Ce policier placé là par le père d’un autre enfant qui viendra se servir ou plutôt se faire servir par ce que présentant toutes les garanties de représentativité et de normes capitalistiques du système ».

Lui, c’est Thomas Sankara, et ce que j’en retiens c’est que « l’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir »…


A tous ceux qui, à la lecture de ce post, me trouverait angélique, romantique, carrément hors-sujet, utopiste et inutile, je n’ai effectivement rien à répondre, pas d’argument bien construit qui pourrait prouver par a+b, comme on pourrait le faire du contraire sûrement, que j’ai raison, mais c’est cet homme et ses discours qui me font vibrer en ce moment et qui ont porté tant de gens et tant de progrès qu’on ne peut le négliger…

1 commentaire:

Anonyme a dit…

" si la douceur était une faiblesse, si elle n'était que le contraire de la violence, et le signe infamant d'une impuissance, on ne voit pas bien comment elle aurait pu survivre, depuis le temps, à tous ses ennemis"
je te cite ici l'introduction d'un livre qui fait l'éloge de la douceur ( j'en ai un autre qui fait l'éloge de l'insécurité ;-))
le monde n'est pas si compliqué, il n'est pas si dégueu, c'est l'Homme qui le complique et qui le rend invivable.